Discours du directeur

Une tête rousse qui dépasse la plupart des autres élèves. Un air maussade, des pas lourd sur l'allée. ça devrait pourtant être une bonne nouvelle que l'école ouvre enfin. seulement, c'est bien beau tout ça, le manoir, les bâtiments immenses et tout, mais Tatsuki n'a aucune garantie de retrouver ici des gars aussi cool que ceux avec qui il avait trainé avant l'incendie. Et puis en plus des gus avaient trouvé ça amusant de prendre en main son sac de voyage, comme s'il n'était pas capable de s'occuper de ses affaires tout seul. Décidément, ce lieu lui foutait presque les jetons. On aurait dit les manoirs hantés des rares films qu'il avait déjà regardé en anglais. En vachement plus classe et plus grand. Donc avec vachement plus de place pour y cacher des fantômes.

Et enfin, surtout.... C'était tellement loin de l'endroit où il avait croisé son Artémis, sa si charmante presque inconnue.... Comment il allait pouvoir la retrouver maintenant? Il s'était juré d'aller errer dès qu'il le pourrait dans l'autre ville, mais ça risquait de ne pas suffire...

Il shoota dans les graviers d'un mouvement rageur, avant de relever la tête vers les étudiants qui attendaient déjà sagement, la plupart dos à lui. Devoir se coltiner dès l'arrivée un discours barbant au milieu de tous ces petits élèves modèles c'était.... ... ... hey mais!! Mais il reconnaissait ce look là! Le croque mort était déjà sur place! Un coup d'œil rapide autour de lui lui signala que si Brandon était inscrit, il n'était pas encore arrivé. Qu'importe, Aki était un type cool. C'est comme ça en tous cas que Tatsu l'avait classé. Très bizarre, mais prêt à aller se bastonner en ville sans jouer les pucelles effarouchées. Un immense sourire aux lèvres, Tatsu s'approcha à grands pas de lui, agitant la main.

_Hoy, Aki!

C'était chouette de voir un visage connu. ça lui remontait le moral pour la journée tiens. Et puis tant qu'il ne pensait pas trop à elle, tout irait à merveille après tout. A son visage si doux et ses yeux si brillants..... qui étaient en train de le fixer à l'instant même. Choqué, il faillit ne pas s'arrêter et tout simplement rentrer dans Aki, la bouche entrouverte, fixant ce jeune homme aux cheveux courts qui ressemblait trait pour trait à sa dulcinée.

Soufflé.

Oui, c'était le bon mot.

Louis était soufflé par cette école.

C'était tout simplement... Gigantesque. La seule fois où il avait vu une école aussi grande, et aussi luxueuse surtout, c'était à Boston et il s'agissait de Harvard! Il avait bien du mal à croire que l'ancienne école pour laquelle il avait postuler était aussi riche. Académie luxueuse, il voulait bien y croire, mais tout de même! Se faire prendre ses bagages par des porteurs... Quoi qu'il ne s'en plaignait pas, il aurait eu bien de la difficulté à trainer ses deux énormes valise presque entièrement pleine de livres à travers l'école. Il avait tout de même insisté pour garder son sac de voyage, habitude de routard oblige, qui contenait le strict nécessaire, soit des vêtements de rechange et quelques livres chère à son coeur.

Intimider, il s'approcha lentement du petit attroupement qui se formait : À première vue, uniquement des élèves, de toutes les nationalités et qui avait tous l'air plus riche que lui... Il avait beau avoir mis les plus beaux vêtement qu'il possédait, il avait presque l'air miteux. Ses pantalons était usée, sa cravate avait vu de meilleurs jours et ses chaussures... n'en parlons pas. Seul sa chemise avait bonne figure, car, dieu lui pardonne, il s'agissait de sa chemise du dimanche. Mais bon, sa situation aurait pus être bien pire. Il avait un poste pratiquement assuré, un futur loyer gratuit et une superbe possibilité de carrière!

Loin d'être calmé de telle pensée, il se dirigea vers un banc tout proche et si assis avant de farfouiller dans son sac. Il avait besoin d'un bon calmant rapide... Après deux minutes de fouille intensive, il finit par extraire de son sac... Une édition de poche des fables de la Fontaine. Illustrer. Et en Français. S'installant confortablement, il se mit à lire d'un oeil les vers d'une autre époque, alors que l'autre continuait à observer les élèves. Ses futurs élèves.

Depuis l’incendie de l’académie, un sentiment d’insécurité ne le quittait pas. Angoisse. Stress. Peur…Sentiments pourtant bien connus mais exacerbés par le malheur. Chaque nuit le voyait s’éveiller d’un cauchemar, paniqué.
Et son masque. Plus dur. Plus froid. Plus impénétrable. Pour masquer les blessures de son âme. Petit animal sauvage préférant lécher ses plaies à l’abri des regards. Ses proches s’étaient désespérés de le voir redevenir comme avant. Solide petit roc à l’épreuve des tempêtes. Mais même la pierre peut se faire grignoter petit à petit par l’érosion.

Soulagement

De savoir que son frère avait décidé de l’accompagner dans sa nouvelle aventure. Sounan’Sha. Ses parents avaient été fortement réticents à l’idée de le renvoyer dans un établissement scolaire, inquiets pour lui. Ils avaient cependant du s’incliner devant son souhait. Il était tombé. Et quelque part au fond de lui, il avait trouvé le courage de se relever. Le soutien de son frère avait été une aide précieuse. L’ancre à laquelle se raccrocher.

Reconnaissance

Et le voilà aujourd’hui, son fidèle Austral à ses côtés, face à l’école. Une pression sur l’épaule. Compréhension muette entre lui et son frère. Naosuke était parti se mettre au calme pour préserver sa tête du tapage des autres élèves. Angoisse. Se retrouver seul dans un endroit totalement inconnu apportait toujours son lot de stress. Anxiété. Tissant sa toile autour de son cœur comme une araignée.
Refusant de céder à la panique, il se laissa guider par son ami à quatre pattes vers un endroit calme. Sa canne heurta bien vite une surface dure. Un banc. Apparemment inoccupé. Parfait. Il s’y assit, la tête d’Austral venant se poser sur ses genoux. Apaisante.
Il allait devoir apprendre à nouveau cette école et effacer l’ancienne de son esprit. Les premiers temps seraient sans doute assez pénibles, mais avec le soutien de son frère il ne devrait pas trop rencontrer de difficultés…

Lancaster, en parfait gentleman, avait franchit en premier l'immense portail de l'école dans une attitude tout à fait protectrice envers son compagnon. Bien sûr, il avait prit soin de porter les sacs les plus lourds qu'ils pouvaient avoir à porter. Il avait laissé Carlsen des sacs plus légers, et de son cher violon. Il pouvait le lui confier les yeux fermés, il savait qu'il y porterait l'attention que cet instrument si précieux méritait. Malgré toute la maladresse et la naïveté dont Carlsen pouvait parfois faire preuve, il ne prendrait aucun risque vis à vis de quelque chose qui était si précieux pour eux. Ils n'étaient plus rien, ni l'un, ni l'autre, sans cette douce mélodie qui les entourait à chaque instant. Celles de leurs respirations unies, celles de leurs pas côtes à côtes... Ensemble, et c'était sans doute la meilleure musique qui puisse exister.

On le ramena à la réalité et c'est avec un sourire et un remerciement poli qu'il confia aux employés de Sounan'Sha leurs sacs, gardant en bandoulière la sacoche contenant leurs papiers et le matériel photographique de Carlsen. Aucune chance qu'il accepte de s'en séparer, il refusait de laisser quiconque d'autre y poser les mains. Il faut dire que celles de Carlsen le tenaient souvent d'une façon un peu précoce... Mais ce que son regard capturait était souvent une vrai merveille. Il ne s'en rendait pas compte, naïf qu'il était, et dénué de toute once de vanité. Mais Lancaster ne pouvait se détacher de l'idée qu'il y avait du génie dans ces photos. Son génie.

Oui, Lancaster, à son arrivée dans cette nouvelle école, était très silencieux. Ce n'était pas comme si les paroles, de toute manière, étaient indispensables entre eux. Ils arrivaient même à se comprendre sans cela. Il espérait cependant que Carlsen ne s'inquiète pas. Il n'était pas vraiment soucieux, non, surtout pensif. Il savait désormais qu'il ne pouvait pas faire changer Carlsen d'avis, pas à long terme en tout cas. Mais déjà cette école là était plus éloignée que la précédente du lieu de toutes ses pensées... Souvent, Lancaster évitait de penser à ce qui les attendaient. Peut être que Carlsen, désormais, en ferai de même...

De nombreux élèves étaient déjà arrivé, et la petite cours se remplissait déjà. Lancaster, en un coup d'oeil, a pu reconnaître quelques personnes qu'il avait pu croiser en cours, quelques look atypiques précédemment remarqués. Il ne s'est vraiment lié à personne, alors il n'y a aucun ami à chercher parmi ceux qui lui sont pourtant vaguement familier. Machinalement, Lancaster ressert légèrement sa prise sur la main de Carlsen qu'il a saisit, à vrai dire sans même s'en rendre compte tant le geste est chez lui naturel. Il se rapproche, et doucement vient poser ses lèvres sur son front.

_Dès que le discours sera terminé et que nous aurons vu nos chambre, nous irons visiter l'école si tu n'es pas trop fatigué, d'accord ?

La voix est grave, le ton protecteur. Il veut simplement s'assurer que Carlsen ne se perdra pas trop facilement quand il ne pourra pas être à ses côtés. Et une promenade ensemble sera certainement des plus agréable, surtout dans ce cadre idyllique. Mais tout d'abord, bien sûr, ils devaient assister à ce discours qui leur en apprendrait sans doute sur le fonctionnement de l'école, bien que le dossier qui leur était parvenu à ce sujet était déjà très complet.

Étrangement Daiki n’avait pas rencontré de difficulté majeure pour convaincre ses parents surprotecteurs de le laisser revenir dans cette nouvelle académie. Au contraire, ils avaient même semblé ravis que leur fils si timide demande de lui-même à retourner dans une école, loin d’eux…Evidemment, ils ne savaient pas que la motivation de l’albinos était principalement un certain garçon aux cheveux bleus. Sinon ils auraient certainement réfléchi à deux fois avant d’y envoyer leur fils…


C’est pourquoi le jeune garçon se trouvait aujourd’hui à Sounan’sha, en compagnie de son amant, observant les lieux avec un air émerveillé. L’académie semblait…non…elle ÉTAIT encore plus luxueuse que la précédente, ce qui était tout à fait impressionnant. Du coin de l’œil, il repéra quelques têtes connues et eut un large sourire en reconnaissant son ami.

_Alek !!!

Agitant la main vers le russe, Daiki entraîna son petit ami avec lui, heureux de le revoir. Il avait bien cru qu’avec l’incendie, ils se perdraient de vue…Il bénissait les professeurs qui avaient eu l’idée de reprendre le flambeau et d’ouvrir une nouvelle école pour les rescapés.

Brandon descendit de voiture d'un pied conquérant, ou du moins était-ce bien imité . Il était vêtu et arrangé à la perfection, nul n'aurait pu déceler le moindre trouble . La voiture repartait . Sa moto serait livrée sous peu et reprendrait sa place comme si rien n'avait jamais changé . Sans rire, il avait réservé sa place . Il n'avait qu'une faille, et pas grande en plus, enfin surtout debout à côté de lui, et surtout avec les cheveux mouillés, comme ç'avait parfois été le cas, nous ne rappelerons pas les épisodes précédents ... Et tiens, justement, c'était ce qui se profilait devant lui . Il avait eu le choix . Il aurait pu lui dire non et intégrer n'importe quelle autre école pour n"importe quel prétexte . Mais voilà, il était là et lui aussi, il allait falloir faire avec . La belle image que Brandon présentait s'écroula .

''Salut .''

Il avait eu le temps de réfléchir à son texte mais c'était tout ce qu'il avait trouvé . Bon, c'était mieux que des insultes ... Le temps avait passé et les circonstances l'avaient obligé à faire ses choix . Enfin ne lui parlez pas de choisir son camp, il le prendrait sans doute mal ...

''T'as vu qui est là ?'' Il montra d'un geste dégagé, qui lui permit de se tourner vers les autres et de se rapprocher d'Aki ni vu ni connu, les autres élèves qui attendaient . Pas de visages totalement inconnus, mais pas de type avec qui il ait envie d'aller discuter non plus . Autant rester avec Aki, même s'il ne savait pas vraiment quoi lui dire . Enfin c'est pas vraiment ça, il le savait mais ... pas au milieu de la cour parmi les autres, ça devait être ça le problème . Monsieur attendrait bien un peu .

Carlsen avait des ancêtres dans la région de la Loire, mais ce n'était pas un fervent adepte du style classique . Lorsqu'il composait des décors pour les photographies qu'il vendait, il avait tendance à verser dans le baroque voir le carrément romantique guimauve avec des roses dans les coins . Pas besoin d'angelots en plaqué or, il remplissait ce rôle très volontiers . Cela dit, il avait Lancaster pour le réfréner un peu, et lui, c'était un vrai admirateur des châteaux de la Loire, qui savait où l'exubérance s'arrête et où commence le bon goût . Il faisait du bon travail avec lui, même si depuis qu'ils s"'étaient mués en touristes, les choses se passaient plutôt d'une façon convenue . Carlsen avait envie de quelque chose et Lancaster le lui payait . Il pouvait faire les photos les plus rocambolesques qui lui plaisaient, de cette manière ; mais les plus belles restaient celles qu'il prenait dans des conditions précaires, au hasard, quand son index était d'accord avec son cerveau pour immortaliser un instant en train de disparaître .

''Oui, enfin nous pourrons nous y arrêter un instant, cette école ne brûlera pas de sitôt . Elle est bâtie pour cela, n'est-ce pas ?''

Il y avait tout de même une pointe d'inquiétude dans sa voix . C'était la première fois, cette incendie, qu'il lui arrivait quelque chose un peu traumatisant . Il était assez peureux face aux dangers mortels, mettez-vous à sa place ... et sans parler des dangers partagés par son petit ami qui étaient purement impensables . Il ne voulait même pas y penser . La présence de Lancaster était très rassurante, mais si tout se décidait à se mettre en travers de leurs projets et à les entraîner par une mort certaine, il ne pourrait rien y changer .

Quelques bruits qui s'élèvent de la cours. Un brouhaha qui reste discret filtre à travers les portes encore fermées du grand hall. Il ne semble pas y avoir de cris, de cavalcades ou autres activités fort bruyantes qui s'exercent pourtant régulièrement lors d'une assemblée d'adolescents. Non, simplement le bruit de conversations se couvrant les unes les autres. Lawrence pousse la porte du grand hall, plisse un instant les yeux devant la lumière vive du soleil. Un mois de septembre sous le signe du beau temps, tellement parfait pour accompagner cette nouvelle année... Un coup d'œil aux élèves rassemblés devant lui, alors que le murmure des discussion s'atténue, jusqu'à s'éteindre au fur et à mesure que l'on remarque sa présence. Même s'il ne peut en quelques secondes évaluer le nombre d'absents, il lui semble que la plupart de ceux ayant choisit de s'inscrire sont ici. Il vérifiera cela auprès de Ten dès que ces formalités seront réglées. Il l'a chargé de s'occuper des élèves arrivants, de leur confier leurs clés et de s'occuper de leurs bagages. Sa liste sera sans doute bien plus complète que celle que Lawrence peut dresser d'un simple coup d'œil, surtout qu'il est loin d'avoir retenu le portrait de chacune des photographies ornant les dossiers d'inscription passés entre ses mains. Il reconnaît néanmoins quelques visages, ses propres élèves, ceux ayant pu le marquer... Mais non, il ne s'y attarde pas. Ce n'est certainement pas le moment. Une inspiration, une fois qu'il est certain d'avoir l'attention de tous, et c'est d'une voix forte, habitué à se faire entendre en plein air, qu'il se lance :

_Tout d'abord, messieurs, bienvenu parmi nous. Pour ceux qui ne me connaîtraient ou ne me reconnaîtraient pas, je suis Lawrence MacKlarin, professeur d'équitation et directeur de cet établissement. Je suis ravi de vous voir si nombreux en ce jour qui, pour moi comme pour vous, a une signification toute particulière.

Non, Lawrence n'oubliait pas les quelques personnes, pas plus de deux normalement, qui n'avaient pas vécu l'incendie. Cependant il n'oubliait pas non plus qu'elles n'étaient présentes en ce jour que grâce à certaines circonstances, et que le discours s'adressait en priorité aux rescapés. Une brève inspiration pour poser son souffle, et Lawrence reprit :

_Ce que vous avez vécu récemment, nous l'avons vécu tous ensemble. Je sais que pour la plupart, sans doute la majorité d'entre vous, la nuit de l'incendie et les mois qui suivirent ont pu être difficile. Nous espérons que votre nouvelle vie ici atténuera ce sentiment. Cependant, si vous avez le moindre problème, si vous ne vous sentez pas bien ou même simplement si vous ressentez le besoin de parler à quelqu'un sans savoir à qui vous adresser, je vous invite à prendre contact avec Monsieur Aberkane Cyrius, qui a accepté de reprendre son rôle de psychologue au sein de notre établissement.

Une pause, de nouveau. Il avait désigner Cyrius d'un rapide signe de main, sans même avoir à se retourner. Ils étaient venu ensemble de son bureau, et même si Cyrius s'était mit en retrait en arrivant dans le hall, Lawrence savait toujours parfaitement où il se trouvait. Quelques secondes pour se remettre en tête la suite de son discours, et de nouveau on pouvait entendre sa voix résonner dans la cours d'entrée.

_Les cours commenceront d'ici quelques jours, le temps pour vous de prendre vos marques dans votre nouvel environnement. Votre emploi du temps vous sera également communiqué sous peu. Si vous rencontrez la moindre difficulté, n'hésitez pas à vous adresser à l'équipe pédagogique, au personnel, a Monsieur Natalievski, directeur adjoint, ou à moi-même. Pour tout ennui d'ordre purement technique, vous pouvez vous adresser au secrétariat.

De nouveau, une inspiration. Il n'avait même pas prit la peine de désigner Volodia. Après tout, sa présence naturelle attirait bien assez l'attention pour qu'aucun élève, sans doute, n'arrive à oublier si facilement sa présence à ses côtés.

_Sur ce, je sais que beaucoup d'entre vous ont fait un long voyage pour venir ici, et beaucoup d'entre vous doivent être fatigué, je vais donc vous libérer. Mais avant cela, je tiens à vous souhaiter une bonne année parmi nous. Messieurs, passez une bonne journée.

Lawrence adressa un rapide salut aux élèves et, alors que petit à petit les conversations reprenaient, que les retrouvailles qu'il avait sans doute interrompue retrouvaient leur cours. Il tourna les talons, se doutant que Cyrius au moins le suivrait. Volodia aussi, sans doute, à moins qu'il n'aille retrouver son jeune compagnon. Cela ne le regardait pas. Lui, pour sa part, avait accompli son devoir. Le tract qu'il avait ressentit avant de prendre la parole, dû à sa première rentrée représentant tant de responsabilité, avait fondu comme neige au soleil au dernier mot de son discours. Et en cet instant, ce en quoi il aspirait plus que tout, était un verre de l'excellent Whisky qu'il faisait venir du domaine de son grand père.

Minoru ne s'aperçut de la présence de Jin Hakumei que quand ce dernier fut à côté de lui. Et là encore, il n'eut pas même le temps de le saluer, tout juste de lui sourire d'un air un peu gêné peut être. Il était réellement heureux de le revoir, oh ça oui ! Il l'appréciait grandement, même s'il lui paraissait parfois étrange et qu'il ne parlait pas beaucoup. Ils s'étaient très bien entendu, voir même entraidé. Mais tant de temps avait passé depuis...

Le discours le prit un peu de court et Minoru ne se rendit compte qu'il n'avait commencé qu'après les premières phrases du directeur. Il cligna des yeux, tentant de se concentrer sur ce qu'il pouvait dire, mais il fallait bien l'avouer c'était totalement peine perdue. Il n'arrivait pas à retirer Jin de ses pensées. A vrai dire, il s'inquiétait pour lui, de ce qu'il avait pu devenir pendant tout ce temps, de ce que l'incendie avait pu laisser comme trace chez lui. Enfin, le discours prit fin. Minoru prit cependant quelques secondes avant d'arriver à trouver quoi dire, alors que sa gorge lui semblait soudain sèche. Si ça se trouvait, Jin n'avait plus du tout envie de lui parler..

_Tu... Vas bien ?

Une vois un peu hésitante, et Minoru s'en voulu de paraître si emprunté. Il avait l'impression d'être secoué de l'intérieur pour arriver à sortir autre chose que ces banalités et reprendre un peu mieux le contrôle de la situation. Et machinalement, son sourire se fit plus franc, plus assuré.

_Tu veux qu'on aille voir nos chambres ensemble ?

La demande, techniquement, n'avait rien de spécial. Et puis c'était plaisant d'avoir un peu de compagnie. Il n'y avait pas de raison que Jin refuse son offre, n'est-ce pas ? Non, aucune raison. Ils s'entendaient bien, tout était parfaitement normal. Et l'incendie... Il n'y avait aucune raison que cela ai changé quoi que ce soit.

Du coin de l'oeil, Brandon regardait les cadres présents, un léger garde-à-vous instinctif redressant sa position pour quelque chose de plus réglementaire, les mains croisées dans le dos. Il avait passé du temps en famille entre la fin brutale de ses brillantes études et leur reprise inattendue, il s'était changé les idées en se jetant à corps perdu dans des sorties entre futurs sauveurs du monde, et ça se voyait un peu. Le timbre de sa voix, l'expression de son visage s'étaient durcis, l'éclat d'enthousiasme juvénile dans ses yeux avait significativement baissé, sans toutefois s'éteindre.

Il s'était éclaté comme une bête à ramper dans les bois avec un couteau d'exercice entre les dents, ya des sentiments qui ne changent pas... mais tout était devenu plus sérieux, même ces folles soirées en tenue de camouflage. La situation d'urgence et de danger mortel qu'ils avaient vécue était bien réelle. Rien à voir avec ces risques calculés que lui et ses potes prenaient sciemment pour faire passer le temps et l'argent entre gens bien. Il n'avait plus l'impression de faire partie du groupe, et ça, c'était perturbant. Mais il s'y était vaguement attendu, aussi avait-il encaissé le choc avec une humeur plutôt égale, ricanant au lieu de rire aux éclats aux mêmes blagues qu'il inventait pourtant lui-même quelques mois plus tôt, et autres subtiles modifications qui n'avaient frappé personne.

Il reconnut sans peine le directeur, c'était un de ses professeurs préférés. Excellente nouvelle, qu'il prenne la tête de l'établissement, les choses seraient sans doute mieux organisées ainsi. Il rigolait pas avec la discipline et les manières, ce mec, limite état-major plutôt que juste l'armée bête et méchante, c'était une exigence très flatteuse pour Brandon et il appréciait également son calme particulier, pourtant aisément déchiffrable en une gamme complète de mauvaises humeurs diverses, depuis vaguement appréciateur jusqu'à carrément agacé. Le genre d'officier qu'il aurait voulu avoir, et qu'il n'aurait même pas cherché à dépasser dans la courses aux médailles. C'était de bon augure, les choses avaient été tellement chaotiques l'an passé... pour finir dans une apocalypse en bonne et dûe forme, chose que naturellement ce nouveau départ était censé proscrire de manière radicale. C'était tout l'intérêt du phénomène.

Alors que ça se terminait, bizarrement, Brandon sentit un poids s'envoler de ses épaules. Bon ben voilà, tout l'ordre perdu était soudainement rétabli. C'était bien la peine d'avoir passé ces nuits sans dormir, enfin, à picoler avec des abrutis en jetant des cailloux dans l'eau et autres dégradations sommaires de l'environnement urbain. Au fond, ça n'avaient été que des vacances survenues un peu plus brutalement, et plus longues que d'habitude. Il se plaça stratégiquement entre Aki et Tatsuki, fixant l'horizon dont on ne voyait guère que les plantes vertes derrière le directeur et son comparse aquatique, symbole vivant des fluctuations hésitantes entre vie marine, vie amphibie et vie terrestre au cours de l'évolution des espèces.

''Bon ben... c'est reparti. Qui veut prendre un verre chez moi pour fêter ça ? A moins que quelqu'un ait déjà une partie de l'établissement à explorer.''

Il se sentait en pleine forme. Il revenait à la normale. Désormais, la normale, c'était ça : ces regards en coin, énigmatiques mais d'autant plus passionnants, cette impression de tension latente qui ne trouvait jamais comment s'exprimer et que tout événement insignifiant venait renforcer, ce sentiment d'être devant une charge d'explosifs prête à sauter, avec une pince à la main, et d'hésiter entre le fil rouge et le fil vert... C'était quoi la règle déjà, jamais le fil vert ? ... Parce que ça, c'était la réalité. Dans le groupe d'amis qu'il avait retrouvé durant ses vacances forcées, il savait bien qu'au fond tout le monde se mentait. Si les bonnes vieilles blagues n'avaient pas fait rire tout le monde, les coupables de démoralisation des troupes se seraient vus écartés de la belle harmonie générale. Il n'y avait rien de naturel là-dedans, ce n'étaient tous que de sales gamins. Brandon se sentait infiniment supérieur à tout ça dorénavant, et c'était très agréable, après des débuts pleins d'interrogations sur le sens de la malédiction qui le frappait et les raisons de la présence d'Aki sur terre.

''Oh, et de toute façon j'ai des trucs pour vous.''