Besoin d'une bouffée d'air pur

C’était nul…. C’était franchement nul.
Sécher les cours dés la première semaine, ce n’était pas vraiment sérieux. C’était même… puéril.
Andrew le savait, il n’était pas ici pour faire des conneries. Et il n’en ferait pas : sécher les cours n’était pas vraiment une connerie au sens propre du terme, si ?

Il avait tenu le coup la première semaine : il était resté sage, distant mais respectueux, autant qu’il pouvait. Il avait suivi les cours, essayé de s’y intéresser… Et le reste du temps, il s’était bien comporté vis-à-vis des autres, en tentant de canaliser ses crises de colère autant que faire se peut.
Ce qui n’avait pas été facile. Dés le début, il avait capté les regards curieux des élèves sur lui, les messes-basses dans son dos après chacun de ses passages. D’autres étaient encore moins discrets et avaient parlé de lui en classe, à quelques mètres de sa chaise…
Il avait entendu les mêmes choses qu’avant : « regarde, il est bizarre… T’as vu ses cheveux… Pareil que c’est un ptit génie… Ouais, c’est plutôt un gros naze… Il parle à personne… Il est vraiment bizarre… »

Non, décidément, rien n’avait changé. Il était toujours ‘l’étranger bizarre’, celui qui faisait fuir les autres sans vraiment savoir pourquoi.

Alors aujourd’hui, il avait craqué. Cela avait été plus fort que lui : une heure de plus en classe et il aurait pété un câble. Déjà qu’il s’était retenu non sans difficulté à l’intercours pour ne pas frapper un jeune qui le regardait comme s’il venait d’une autre planète…

Il avait eu besoin de prendre l’air, et sans réfléchir, il s’était précipité à l’étage, grimpant les escaliers quatre à quatre pour parvenir jusqu’au toit.
Ici, personne ne viendrait le critiquer, personne ne viendrait le regarder bizarrement. Ici, il était seul avec lui-même, et même si cette compagnie n’était pas celle qu’il préférait, cela lui convenait.

Il soupira, tira un paquet de clopes qu’il avait réussi à emmener en douce dans l’établissement, pour en sortir une qu’il alluma aussitôt.

Une bonne minute plus tard, et quelques bouffées de nicotine, et il sentit un peu de la pression retomber. Il soupira et s’approcha du bord, d’où un grand grillage s’élevait pour éviter tout accident probablement.
Son regard plongea dans la cour en bas, où quelques élèves se rassemblaient pour se diriger vers les gymnases…

« Putain, c’est pas pour moi tout ça… » murmura-t-il en appuyant son front contre le grillage.

''Si on te demande, tu diras que c'est moi qui t'ai convoqué.''

Enfin techniquement, même lui n'aurait pas dû se trouver là. Il se ferait pas tirer les oreilles, il avait passé l'âge ; et il était sans doute celui qui pouvait circuler dans le plus de recoins de cet immense établissement, des caves encombrées, aux bureaux classieux, mais il était quand même pas prof. Ici, au départ, c'était la terrasse où les profs pouvaient se retrouver pour boire un verre. Ils étaient sympathiques pour ceux avec qui il avait déjà bavardé, mais ils avaient peut-être pas envie de partager leur espace vital avec le petit personnel, et le petit personnel en question était pas certain de savoir quoi dire le cas échéant, si il se trouvait pris dans une conversation avec un tas de ces messieurs ...

''Je t'ai laissé mon numéro, pour si tu fais une connerie. Confessions express, c'est mon rayon. Alors vas-y, qu'est-ce que t'as braqué dans le bâtiment des profs, raconte ?''

Avec un petit rire léger, le rire d'un mec euphorique qui réalise soudain que la nature c'est beau et que la vie c'est cool, pas moqueur pour un sou, Damon s'approcha. Ils le faisaient rire, ces flics, franchement. On aurait dit des nounous. Des petits de nounous et de schtroumpfs grincheux. Brrr, quelle horreur ! Machinalement, il agita l'index en marmonnant d'une voix comique un faux reproche surréaliste .

''Si tu t'appuies contre le barreau et qu'il gèle, ton nez restera collé et il faudra te le couper. Voilà ce qui arrive aux méchants garçons. Non, sérieux, Drew, je t'ai filé un plan, c'est écrit dessus les endroits où tu peux aller et les endroits où vaut mieux pas. T'en as fait quoi de ce plan ?''

Il n'essayait même pas de se composer un air sévère, de toute façon ça n'aurait rien donné. L'idée, c'était surtout de comprendre ce que ce gamin faisait sur le toit du monde, et si possible, l'en faire redescendre et le mêler avec succès au commun des mortels. Pour l'heure, ça n'avait pas l'air d'être la joie. C'est dommage ça, c'est tellement fun, les mortels... Il évita de trop s'approcher. Si il se trouvait trop près et que le jeune Andrew avait à reculer pour garder sa dose d'espace vital, ils auraient du mal à s'entendre par la suite. C'était plus confus que ça, mais c'était l'impression qu'il avait en ce moment. Le laisser approcher de lui-même, surtout ne pas l'envahir, comme ces flics le premier jour avec leurs conseils de mère-grand. Chacun sait que c'est comme ça qu'il a mal fini, le petit chaperon rouge.

Andrew savait qu’il n’avait rien à faire ici. Le bâtiment des professeurs, c’était sacré, du moins aux yeux des autres élèves de l’établissement.
Mais il fallait croire que la pression avait été un peu trop forte, et Andrew était délibérément venu ici pour s’isoler de tous, et surtout des autres élèves. Rester dans la cour de récré où les réfectoires l’aurait poussé à faire une connerie. Ici, il était sûr de ne pas être dérangé et surtout, de pouvoir décompresser tranquillement.

Aussi ne s’attendait-il pas vraiment à être dérangé… Une voix s’éleva derrière lui et il bondit aussitôt, faisant face… au secrétaire qui s’avançait vers lui, avec le petit sourire des gens décontractés. Andrew écarquilla les yeux avant de se braquer dés que le secrétaire l’accusa. S’il avait été un peu plus fin, il aurait détecté l’ironie et la plaisanterie dans la voix de l’homme, mais habitué à ce qu’on ne voit en lui qu’un jeune voyou, il s’écria aussitôt :

« J’ai rien braqué, ok ?!! »

Et dans sa bouche, cela mettait au défi Damon d’affirmer le contraire.
Il avait promis d’être sage, et si l’on exceptait sa petite excursion dans le bâtiment des professeurs, il avait tenu bon jusque là. Il s’était même comporté en élève modèle, alors qu’on ne vienne pas lui faire la moindre réflexion !

Cependant, cela ne sembla pas gêner le moins du monde le secrétaire de l’établissement qui enchaîna aussitôt, le même sourire plaqué sur les lèvres. Un sourire qui mettait Andrew mal à l’aise.
Pour qui ce type se prenait-il ? Pour son meilleur ami ? Pour son ‘pote’ ?
Et qu’est-ce qu’il croyait en lui lançant ce genre d’idioties ? Le faire éclater de rire ? Et bien, mauvaise nouvelle pour lui, c’était raté.

Retrouvant son calme, Andrew lança avec morgue :

« C’est bon, je le connais votre plan, je ne foutrais plus les pieds ici. J’ai compris… Je voulais juste… me changer les idées, et ici c’était idéal. »

Ses yeux se braquèrent sur le secrétaire et il pencha la tête comme pour mieux l’observer. Ce type avait l’air plutôt… cool, même si pour l’instant Andrew avait énormément de mal la sollicitude extérieure. Il était dans sa phase « j’en veux à la Terre entière » et même le plus cool des mecs n’arriveraient pas à le dérider. Il était trop mal dans sa peau pour que le miracle s’opère.

« De toute façon, y a personne, alors je pouvais squatter, je ne dérange pas vraiment. Et puis… qu’est-ce que vous en avez à faire que je sois puni ? Ca me regarde ça… »

Bon, il était plus à cran qu'il n'en avait l'air. Il avait juste l'air déprimé, mais c'était une erreur de jugement, en fait il observait non pas le vide mais les misérables petites fourmis qui grouillaient au-delà, et pas qu'avec de bonnes pensées sans doute. Damon songea qu'il avait peut-être été un peu rapide en considérant, objectivement, qu'un cadre idyllique suffirait à ramener sa brebis fugueuse à l'amour de l'humanité. Pour lui ça aurait marché. Dans ses pires moments, tu lui balançais juste un ciel bleu avec un oiseau qui passe et il aurait été aux anges. C'était trop facile, d'ailleurs. Ses co-détenus lui avaient souvent fait pardonner les pires crasses en lui offrant un bouquin ou un film. Il était capable, pour de menus trésors tels que ceux-là l'étaient en taule, d'échanger une rancune tenace contre une reconnaissance infinie.

Cela dit, il se doutait bien que certains n'étaient pas comme lui, et malgré son absence de don naturel pour le dialogue en période de crise, tout le monde n'est pas superman, il s'était un peu fait à toutes les facettes imaginables de l'être humain en boîte, de l'innocent condamné à la place d'un mec important, jusqu'au vrai taré qui découperait volontiers son co-détenu en morceaux avec la petite cuiller en plastique des repas. Il situait Andrew entre les deux, bien sûr, mais il ne savait pas encore où. Fallait qu'il le connaisse un peu mieux pour ça.

''Je sais que c'est pas facile pour toi, alors je m'inquiète,'' expliqua-t-il simplement en haussant les épaules. ''Si ça te soule, je repars, et tu te démerdes avec le directeur une fois qu'un prof qui passe aura rapporté ta présence ici. Je comprends qu'on ait besoin d'être seul de temps en temps.''

C'était une façon de s'exprimer, il resterait pas loin. D'ailleurs il ne bougea pas, attendant une injonction dans un sens ou dans l'autre. Sinon il connaissait un endroit sur l'escalier où il pouvait se caler pour lire le manga qu'il avait dans la poche, en attendant que ça bouge à l'étage. Il gênerait pas la circulation, mais il pourrait préciser aux profs de passage que le jeune en haut sur la terrasse était son invité, qu'il avait besoin d'une pause ou qui sait quoi. Bon, il préférait rester, il le connaissait ce manga, et ça valait pas une conversation sympathique face au panorama de cette superbe école pleine de gens libres de leurs mouvements ..., du moins à son point de vue.